samedi 4 février 2012

Monseigneur Bertrand Blanchet, évêque émérite de  Rimouski  a présenté un mémoire à la commission parlementaire, «Mourir dans la dignité».  Il a également donné des conférences à Rimouski, dans la Gaspésie et aux îles-de-la-Madeleine.  Vous pouvez relire le contenu de son allocution  en visitant ce lien :  www.gaspesie.net/diocesegaspe  et en suivant le lien Suite à la Tournée sur Mourir dans la dignité avec Mgr Blanchet.


Mémoire de l’Assemblée des évêques

présenté à la

  Commission sur la question de mourir dans la dignité.

 Les questions du début et de la fin de la vie nous touchent tous personnellement. Elles nous ramènent à ces réalités essentielles de notre existence que les aléas de la vie nous font souvent oublier. Le regard que nous posons sur   ces moments constitue un bon reflet de nos valeurs personnelles et collectives.

 Comme assemblée d’évêques, nous tenons à  exprimer de nouveau  notre solidarité avec le peuple québécois en participant à ce débat de  première importance. Nous voulons d’abord nous  mettre à l’écoute   des opinions, convictions et valeurs  exprimées par nos concitoyens et concitoyennes. Mais il nous importe aussi de partager les nôtres, dans l’espoir qu’elles  contribueront  à rendre notre  société plus solidaire et plus  humaine. Nous osons même exprimer notre fierté à l’effet qu’en ce domaine, plusieurs positions ecclésiales déjà anciennes ont servi de guide pour   une pratique médicale éthiquement acceptable. 

 D’entrée de jeu, nous affirmons que notre société n’a pas avantage à modifier la loi canadienne qui interdit l’euthanasie et l’aide au suicide. Nous avons même   moins de raisons qu’autrefois de l’envisager.


1.                  Certaines personnes pensent à l’euthanasie ou à l’aide au suicide par crainte de la douleur physique. De fait, personne n’est à l’abri de cette crainte qui est souvent viscérale. Nous avons tous vu l’un ou l’autre de nos parents et amis en proie à la douleur. Dans certaines formes de cancer, en particulier, elle peut être très vive.

 Mais il est communément admis que toute personne doit être soulagée de sa douleur. Si  elle est intense au point d’occuper tout le champ de la conscience, elle s’avère  déshumanisante et donc inacceptable. Depuis un demi-siècle déjà, l’Église considère que  la douleur doit être soulagée, même  au risque d’abréger la vie. Il suffit que l’intention première soit le soulagement de la douleur (cause à double effet). Nous espérons que votre Commission aidera à dissiper une confusion trop fréquente, même en milieux de soins de santé,  entre  certains  contrôles  de la douleur  pouvant  aboutir à  la mort et une  véritable euthanasie.

Or, le corps médical affirme  disposer aujourd’hui  de  moyens de plus en plus efficaces  pour le  soulagement de la douleur. Les médecins spécialisés en analgésie disent qu’il est possible d’identifier les doses et les sortes d’analgésiques capables de provoquer ce soulagement. De plus, comme le rapport de la Commission le souligne, dans les cas plutôt rares où ce résultat n’est pas obtenu, une sédation palliative permettra à la personne souffrante de récupérer une part de ses énergies et, au moment approprié, de reprendre contact avec les siens.


Nous pouvons  donc croire que, grâce à  une formation appropriée du corps médical et à la poursuite de la recherche sur le soulagement de la douleur, la crainte de la douleur physique aura encore moins  raison d’exister. Elle pourra être mieux soulagée.

 2.      Un autre motif de crainte  peut inciter certaines personnes à envisager  l’euthanasie ou à l’aide au suicide : l’acharnement thérapeutique. De fait, quand nous voyons certaines personnes malades branchées sur des appareils sophistiqués, parfois en plusieurs lieux  de leur corps, il est tout naturel de réagir contre une pratique médicale apparemment  trop envahissante et peu respectueuse des personnes. Il convient toutefois  de vérifier si ce dispositif est temporaire et destiné à la récupération des forces de la personne malade ou s’il se prolonge sans perspective de réelle amélioration, particulièrement en fin de vie.


Il y a plus d’un demi-siècle, le pape Pie XII affirmait que le médecin ne peut décider d’un  traitement sans l’accord de la personne malade. Celle-ci, disait-il, doit  prendre les moyens ordinaires  pour assurer sa vie – autrement il s’agirait d’une forme de suicide. Mais elle n’est pas obligée moralement  de prendre des moyens qu’elle considère disproportionnés en regard du bénéfice espéré. Si elle est incapable de manifester ses désirs, des proches et l’équipe médicale agiront en fonction des mêmes principes et dans le meilleur intérêt du  patient.

 Le corps médical étant  plus soucieux de respecter les désirs des malades, nous avons moins de raisons qu’autrefois de craindre l’acharnement thérapeutique.

 3.      Lorsque  des personnes  désirent l’euthanasie ou l’aide au suicide, elles le justifient par  des  motifs  différents. Or une revue systématique des publications médicales sur  le sujet dégage une constante : le motif principal de leur demande est  la souffrance psychique ou morale.  Or, cette souffrance est souvent beaucoup plus difficile à affronter ou à soulager  que la douleur physique. À cet égard, médecins, personnel soignant et proches de la personne malade se sentent également  démunis.

    De fait, l’épreuve majeure d’une  existence humaine consiste  généralement à voir ses forces           physiques décliner,  ses sens  perdre leur acuité,  son univers rapetisser comme peau de chagrin, sa   dépendance à l’égard des autres grandir, son intimité subir  un envahissement gênant etc.  Pour plusieurs, le sentiment lié à la perte de contrôle sur leur vie s’avère déterminant. 

Or, à l’évidence, tous ces motifs ne relèvent  pas  d’abord d’un problème médical mais d’un problème humain. Et ce problème  affecte l’ensemble de notre société. Il existe, parfois tout près de nous, des souffrances  plus grandes que celles des malades de nos hôpitaux et de nos centres de soins de longue durée. Qui oserait affirmer qu’elles doivent être  soulagées par l’euthanasie ou l’aide au suicide ? Au contraire, beaucoup de personnes  s’engagent  dans des organismes de prévention du suicide précisément pour prévenir  cette éventualité.   Même si, comme le proposent  les  partisans de l’euthanasie,  l’accès à l’euthanasie et à l’aide au suicide était limité à la fin de vie,  les personnes  qui  luttent  contre la tentation du suicide ou qui oeuvrent dans des organismes de prévention   nous reprocheraient avec raison de créer dans notre société une mentalité mortifère. Nous augmenterions le risque de voir les personnes les plus fragiles céder  à la tentation d’en finir.



Nous ne voyons pas d’alternative véritable à la souffrance psychique, sinon une authentique compassion de notre  part. À cet égard, nous nous interrogeons sur le bien-fondé d’une expression comme celle de meurtre par compassion. La véritable compassion incite à être sensible  à la souffrance de l’autre  et à  l’accompagner sur sa route,  parfois  la dernière  de sa vie. L’éliminer pourrait bien  être considéré comme  un refus de  l’accompagner, comme un abandon avant qu’elle ne  parvienne à son terme.



Il est vrai qu’en présence d’une grande souffrance morale,  nous sommes ramenés à  notre propre vulnérabilité et à la pauvreté de nos moyens. Compatir conduit  donc aussi à  faire l’expérience de nos propres limites en même temps que celles de la science  médicale. Mais ces limites mêmes aident à nous  recentrer sur l’essentiel. Les personnes qui  acceptent  d’accompagner des personnes malades, particulièrement dans les milieux de soins palliatifs, témoignent que beaucoup d’entre elles  vivent une réelle  croissance personnelle et qu’accompagner fait aussi grandir. La maladie aide à faire la vérité sur soi, à  vivre  des  réconciliations avec soi-même ou avec l’un ou l’autre de ses proches. Elle offre  l’occasion de redonner  sens à sa vie et à sa mort. Ce qui se présentait au départ comme la  crainte d’une grande  souffrance peut finalement s’avérer un chemin d’humanisation.



4.      Les personnes qui se déclarent favorables à  l’euthanasie ou à l’aide au suicide considèrent que ce choix représente une exigence  de leur autonomie. Elles insistent sur le fait qu’elles seules ont le droit de décider de la façon dont elles  quitteront  cette vie. Une  requête tout à fait  compréhensible puisque l’autonomie est aussi une expression de leur  dignité personnelle.



Dans une  culture comme la nôtre, qui accentue la place des libertés  individuelles et de la conscience personnelle, la valeur de l’autonomie prend un  relief supplémentaire. Certains l’expriment sous forme d’un droit quasi absolu de faire les choix sur les réalités qui les concernent.



Mais l’autonomie ne peut naître et se développer qu’en faisant appel à des solidarités. Comment en effet concevoir  la vie sans solidarités ? Nous commençons à tisser des liens dès avant notre naissance. La biologie nous apprend  que nous fabriquons nous-mêmes le cordon ombilical et le placenta qui nous relient à notre mère. Puissant symbole de notre besoin des autres. Par la suite,  nous sommes accueillis par les membres de notre famille, des confrères de classe, des collègues de travail, un conjoint ou une conjointe, des enfants et des petits-enfants… : autant de liens de solidarité qui ont tissé peu à peu  ce que nous sommes devenus.



Alors, quand surviennent les dernières étapes de notre vie, nous ne pouvons pas décider de tout comme si nous étions seuls au monde. Nous portons une responsabilité à l’égard des personnes et des milieux de qui nous avons beaucoup reçu.



Par exemple, lorsqu’une personne décide de s’enlever la vie et  justifie son geste publiquement, quel message envoie-t-elle aux personnes  vivant la même situation  ou une  condition  encore plus pénible ? Quel message reçoivent les personnes handicapées et les grands malades quand ils apprennent que des personnes connues  ont choisi de mettre fin à leurs jours ? L’interdit actuel de l’euthanasie ou de l’aide au suicide représente pour elles une barrière qu’elles n’oseront généralement pas  franchir. Une fois la barrière tombée, il devient  plus facile de céder à cette tentation. Nous croyons qu’il faut prêter la plus grande attention à la fragilité des personnes âgées et handicapées. Déjà l’impression  d’être inutiles ou plus ou moins confinées à leur solitude affecte leur goût de vivre. Quand elles constatent que  leur condition physique se dégrade et qu’elles deviennent  un poids de plus en plus lourd pour elles-mêmes et pour les autres, elles peuvent être sollicitées par ces tendances mortifères qui affleurent souvent aux heures difficiles de la vie. Elles ont besoin que leur milieu immédiat, que la société les protègent contre le sentiment d’être de trop et  de constituer un fardeau pour leurs proches et pour la société.  Elles n’ont surtout pas besoin qu’on en rajoute en créant des conditions qui augmenteront  le doute dans leur esprit.



Il est juste d’affirmer que nous faisons présentement un débat de société. Car une question comme celle de l’euthanasie et de l’aide au suicide nous conduit inévitablement à d’autres questions tout à fait  fondamentales : que  voulons-nous  vivre ensemble ? quel  type de  société  voulons-nous  léguer aux générations qui montent ? souhaitons-nous une société où  les droits individuels sont constamment  renforcés ou une société génératrice de  solidarités ?  nous satisferons-nous  des solidarités des  grands évènements sportifs, des  spectacles de la scène ou d’une fête nationale ? Elles sont tout à fait sympathiques  et elles gardent leur valeur dans toute vie commune. Mais les  solidarités  vécues au quotidien par des personnes engagées  auprès de malades  blessés dans leur corps, leur esprit ou leur cœur pèsent d’un tout autre poids. Ce sont celles-là d’abord qu’une société et un État doivent  protéger et encourager.



À cet égard,  rappelons-nous  la première recommandation de la Commission sénatoriale qui, il y a une quinzaine d’années, a étudié  cette question avec grand soin. (1) Elle   a fait de la promotion des soins palliatifs sa première recommandation. Autrement dit, elle a  misé non pas sur un changement  de la loi actuelle, qui  aurait renforcé les tendances individualistes  déjà trop présentes  dans notre société. Elle a plutôt compté  sur la remarquable capacité de solidarité de  tant de nos concitoyens et concitoyennes.



La pratique des soins palliatifs s’avère effectivement un lieu où un personnel soignant et  de nombreux bénévoles  offrent un environnement  et  un accompagnement personnalisés à des malades en phase terminale.  Comme on le sait, ce n’est plus le temps de chercher à guérir. Une fois assurés le soulagement de  la douleur physique et les soins de base,  le personnel et les bénévoles des soins de santé assurent un accompagnement qui confirme  les malades dans le sentiment qu’ils continuent à compter et  qu’ils n’ont pas perdu  leur dignité. Celle-ci en effet tient beaucoup à la qualité des relations maintenues avec eux et  à la qualité du regard posé sur eux. Puisque tous souhaitent une mort dans la dignité, interrogeons  les personnes qui sont familières avec  la pratique des soins palliatifs. De façon quasi unanime, elles confieront qu’il n’existe sans doute pas de meilleure façon de mourir dans la dignité.



Aujourd’hui encore, votre commission  pourrait difficilement rendre un meilleur service à notre population que de promouvoir  une meilleure accessibilité aux soins palliatifs. Le Québec a effectivement fait des pas intéressants dans cette direction; des maisons continuent à se mettre sur pied ici et là, en mobilisant une remarquable  générosité. Mais il semble que 15 pourcent seulement des malades en phase terminale soient en mesure d’en profiter. Voilà un lieu où diriger nos efforts et nos ressources.



D’aucuns affirment que les soins palliatifs pourraient  être offerts au choix, en même temps que l’euthanasie ou l’aide au suicide. Pareille affirmation nous laisse très perplexes. Pour sa part, le docteur Louis Dionne, qui a œuvré longtemps à la maison de soins palliatifs Michel Sarrazin, s’est exprimé avec vigueur contre cette éventualité. Il disait à la Commission sénatoriale : « Si vous acceptez l’euthanasie, vous tuez les soins palliatifs, dans leur essence et dans leur philosophie.» (2) En effet, comment mobiliserait-on  des centaines de bénévoles, comment justifierait-on  autant de ressources s’il paraît évident à tous qu’on peut en finir avec de bien moindres efforts et à de bien moindres coûts. N’oublions pas qu’une frange importante de notre population pose sur ces réalités  un regard très pragmatique.



5.      Comme plusieurs intervenants, nous appréhendons  beaucoup d’autres  conséquences d’une éventuelle acceptation de l’euthanasie et de l’aide au suicide.



D’abord  sur la profession médicale. Dès le moment où des malades ou des personnes âgées savent que leur médecin n’est pas là seulement pour soigner et guérir mais  éventuellement pour donner la mort, la relation n’est plus la même. La confiance ne saurait  plus être totale. Comment savoir si, en des moments où la lucidité du malade s’estompe,  le médecin ne s’autorisera pas du principe de bienfaisance pour procéder  à une discrète euthanasie ? L’interdit d’homicide de la tradition hippocratique représente une sagesse qui a traversé les siècles; il mérite encore d’être respecté.



Advenant une légalisation de l’euthanasie ou de l’aide au suicide, la relation d’une personne malade avec ses proches est également altérée. Quand et comment répondre à la demande d’une personne proche qui désire l’euthanasie ? Provoquer  la mort de quelqu’un demeurera toujours un geste très grave qui laisse inévitablement  sa marque chez la personne qui en est responsable. De plus, quand la personne malade est en perte de lucidité et que les proches sont appelés à prendre une décision à son sujet, comment savoir si certains  intérêts personnels, financiers ou autres, ne pèsent  pas dans  la décision ?



Si l’euthanasie ou l’aide au suicide étaient décriminalisées, la situation ne serait également plus la  même pour les pouvoirs publics. Une fois l’interdit de l’homicide aboli, la vie humaine perd  le caractère intouchable qu’elle possédait jusque là. Ce caractère est heureusement renforcé dans notre pays par l’abolition de la peine de mort. Ne serait-il pas paradoxal que  la peine de mort soit abolie pour les uns en même temps qu’on provoque cette  mort chez d’autres ?  De plus, qui  peut dire si les grands malades inconscients, les personnes très  handicapées  nécessitant des soins lourds et coûteux ne seront pas sacrifiés  discrètement pour libérer des lits et alléger des budgets si difficiles à contrôler ? 



Ici également, il faut craindre la pente glissante. Les personnes ou les groupes qui font la promotion d’une «aide à mourir» affirment avec force que des balises strictes règleront cette pratique. Connaît-on des situations où, peu à peu, les balises n’ont pas  été déplacées pour satisfaire d’autres demandes que celles qui avaient été prévues ? Le Canada en a  fait l’expérience dans le cas de l’avortement. Le pays  où la pratique de l’euthanasie est la plus longue, la Hollande, s’est fait interpeller récemment par le Comité des droits de l’homme de l’ONU pour manque de respect des balises qu’il s’était données. (3) Le parrain de la loi française sur le sujet, le député Jean Léonetti, y a fait un séjour de quelques mois. Il a constaté que, dans la pratique, il s’y développait un renforcement du pouvoir médical.



6.      La commission a lancé un processus de consultation qu’elle désire sans doute des plus  démocratiques. Le document de travail qu’elle a élaboré reflète cette intention. Qu’on nous permette cependant la remarque suivante : la plus grande part des questions auxquelles les personnes participantes sont appelées à répondre touchent les modalités de l’exercice de l’euthanasie ou l’aide au suicide. D’où l’impression que c’est le choix qui sera fait, d’une manière ou de l’autre. On comprend que le maintien du statu quo puisse impliquer  moins de questions  mais l’écart entre les deux options  est tellement considérable qu’il suggère une orientation déjà prise,  au moins en apparence.



La démocratie peut s’exercer de diverses manières. Il est prévisible que si la décision sur cette question reposait d’abord sur le résultat d’un référendum  ou sur  les opinions exprimées par internet, il y aurait de fortes chances qu’une  majorité se dégage en faveur de l’euthanasie ou l’aide au suicide. Pour diverses raisons. Tout comme la population, dans un cas semblable,  pourrait  bien se dire favorable à la peine de mort. Mais c’est la responsabilité des personnes élues, grâce aux moyens dont elles disposent, de mieux anticiper les conséquences d’une éventuelle décriminalisation de l’euthanasie.



C’est précisément ce que nous avons observé en 1994-1995 quand la Commission sénatoriale a mené une étude approfondie de  cette question. C’est aussi ce qui s’est produit plus  récemment  en  Angleterre et en France. Dans le cas de l’Angleterre, l’Association médicale britannique s’est prononcée majoritairement contre le projet de loi en faveur de  l’euthanasie.  Reconnaissons qu’elle était  bien placée pour prendre la mesure des enjeux en cause et convaincre les parlementaires. En France, à la suite du volumineux rapport d’une commission ad hoc, les parlementaires ont voté très majoritairement contre la  décriminalisation.  Ce fut toutefois l’occasion de réaffirmer que les patients peuvent refuser ce qu’ils estiment une «obstination déraisonnable» (acharnement thérapeutique), qu’ils ont le droit d’être soulagés convenablement de leur douleur même au risque d’abréger leur vie…etc. Nous ne doutons pas  que votre  commission mène  son étude avec la même rigueur et le même sens des responsabilités.



Nous nous permettons cependant une mise en garde contre une hypothèse  qui a été évoquée par certains. L’application de la loi, disent-ils, étant  du ressort des provinces, il serait possible de maintenir la loi actuelle, tout en laissant aux tribunaux de décider de son application ou non. Cette tendance s’observe déjà puisque plusieurs «meurtres par compassion» se sont, à toutes fins pratiques, terminés par une absolution sans pénalité. Pareille situation  nous  paraît inacceptable, même sous le  prétexte de « l’exception québécoise». Elle  revient, en somme, à  lever la barrière de l’interdit. Si la loi existe, elle doit être observée. Sinon, la fonction de législateur perd une part de sa crédibilité puisque le système judiciaire peut la contourner. C’est d’ailleurs ce qui s’observe en Angleterre où le système juridique outrepasse ses prérogatives en contournant les décisions  du  Parlement.  Ce que l’ancien premier ministre Gordon  Brown avait déploré. (4)



7.       Jusqu’ici notre propos s’est voulu large et acceptable par des personnes de toute origine et de toute croyance. Comme représentants de la communauté catholique, permettez-nous d’ajouter certaines convictions de foi qui confèrent  un supplément de sens à notre propos.



Dès les toutes premières pages de la Genèse, l’interdit du meurtre est affirmé de manière dramatique dans le récit de l’assassinat  d’Abel par son frère Caïn. La question que l’auteur biblique met dans la bouche de Dieu est remarquable de concision et de sens : « Écoute le sang de ton frère qui crie vers moi du sol.» (Gn 4, 8-10) « Écoute», c’est la voix de la conscience. «Le sang de ton frère» : tu partageais avec lui le même sang et une commune humanité. « Qui crie vers moi du sol» : vers moi car Dieu a partie liée avec la vie, tout particulièrement celle de l’être humain. Il y voit son image et sa ressemblance, il lui a insufflé un peu de son souffle de vie.



Cette page biblique est la première d’une série d’affirmations  répétées de multiples manières dans la Bible : Dieu est  maître et  Seigneur de  la vie. Il nous l’a donnée, non pas pour que nous en disposions à notre gré, surtout pas en  la supprimant. Il nous l’a confiée à la manière d’un talent ou d’un trésor,  pour qu’en bons gérants nous lui  permettions   produire tous ses fruits, pour nous-mêmes et pour les autres.



Car toute  vie humaine peut porter des fruits même si elle paraît inutile ou improductive, même lorsque nous serions tentés d’en détourner notre regard, comme pour le serviteur souffrant d’Isaïe : « Il était comme celui qui n’a plus ni attrait ni beauté et dont on détourne son regard.» (Is. 53, 2) Isaïe annonçait alors la manière dont Jésus affronterait lui-même sa mort. À l’heure des abandons et des ruptures, il a mobilisé  ses forces restantes  pour retisser des liens. Entre sa mère et Jean : «Voici ton fils, voici ta mère». (Jn 19,26-27) Puis avec le larron : « Aujourd’hui tu seras avec moi en paradis». (Lc 23,43) Ensuite avec ses bourreaux : «Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.» (Lc 23, 34) Enfin, avec son Père : « Entre tes mains, je remets mon esprit» (Lc 23,46). Au cœur de l’épreuve finale, il demeure   l’homme de toutes les solidarités. Aujourd’hui encore, beaucoup d’entre nous désirent marcher sur ses traces, convaincus  que son exemple et son message peuvent contribuer puissamment à l’édification d’une société plus humaine et plus fraternelle.


CONCLUSION
En conclusion, nous souhaitons que  la Commission  propose des recommandations qui aideront effectivement à rendre la fin de vie la plus humaine et la plus humanisante possible, tant pour les individus que pour notre  société. Nous pensons que ce sera le cas si cette fin  survient à son heure : pas avant  par euthanasie ou aide au suicide, pas après à cause d’acharnement thérapeutique. Cela s’avèrera également  si la personne en fin de vie est accompagnée  par du personnel soignant et des bénévoles qui la soutiennent tout au cours de cette étape cruciale de son existence.


      Références
(1)   Sénat du Canada, De la vie et de la mort, Sous les auspices du Sénat, Juin 1995

(2)   Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l’euthanasie et le suicide assisté, Ottawa, 6 juillet  1994

(3)   Comité des droits de l’Homme de l’ONU, 96ème session, juillet 2009

(4)   Virginie Malingre, Le Figaro.fr, 8 février 2010.


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